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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/163

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

plus hasardés, et, au milieu des toasts officiels, se glissèrent peu à peu les toasts particuliers.

Le premier toast illicite fut porté à Raspail, comme ayant refusé la croix de la Légion d’honneur. Fontan, qui venait de l’obtenir, prit la chose pour lui, et commença à s’enferrer dans un discours dont la majeure partie n’arriva pas à l’oreille des auditeurs. Le pauvre Fontan n’avait point le don de la parole, et, par bonheur, les applaudissements de ses amis couvrirent les hésitations de sa langue.

Je n’avais l’intention de porter aucun toast : je n’aime pas, à moins qu’une passion quelconque ne m’emporte, à parler en public. Cependant, les cris « Dumas ! Dumas ! Dumas ! » me forcèrent d’élever mon verre.

Je portai un toast qui eût parut bien tiède, si, au lieu de venir avant les autres, il fût venu après. Ce toast, je l’avais complètement oublié : il y a huit jours que cet artiste dont je parlais tout à l’heure, et qui était venu au dîner sous mon patronage, me l’a rappelé. Le voici :

« À l’art ! Puissent la plume et le pinceau concourir aussi efficacement que le fusil et l’épée à cette régénération sociale à laquelle nous avons voué notre vie, et pour laquelle nous sommes prêts à mourir ! »

Il y a des moments où l’on applaudit tout : on applaudit mon toast. Pourquoi pas ? On venait bien d’applaudir le discours de Fontan.

C’était le tour d’Étienne Arago. Il se leva.

« Au soleil de 1831 ! dit-il ; puisse-t-il être aussi chaud que celui de 1830, et ne pas nous éblouir comme lui ! »

Celui-là méritait et obtint une triple salve d’applaudissements.

Puis vinrent ceux de Godefroy et d’Eugène Cavaignac. J’ai le tort de ne pas me les rappeler ; je regrette surtout d’avoir, oublié celui d’Eugène, qui était des plus caractéristiques