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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/179

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Désormais, on ne vivra pas plus longtemps ; seulement, on vivra plus vite.

Arrivé au Havre, je me mis en quête d’un endroit où passer un mois ou six semaines ; je demandai un village, un coin, un trou, pourvu qu’il fût au bord de la mer : on me nomma Sainte-Adresse et Trouville.

Un instant, je flottai entre les deux pays, qui m’étaient aussi inconnus l’un que l’autre ; mais, ayant poussé plus loin mes informations, et ayant appris que Trouville était encore plus isolé, plus perdu, plus solitaire que Sainte-Adresse, j’optai pour Trouville.

Puis je me rappelai, comme on se rappelle un rêve, que mon bon ami Huet, le paysagiste, le peintre des marais et des grèves, m’avait parlé d’un charmant village au bord de la mer où il avait failli s’étrangler avec une arête de sole, et que ce village s’appelait Trouville. Seulement, il avait oublié de me dire comment on allait à Trouville.

Il fallut m’en enquérir. Il y avait au Havre infiniment plus d’occasions pour Rio-de-Janeiro, pour Sidney ou pour la côte de Coromandel qu’il n’y en avait pour Trouville.  Trouville, comme latitude, était alors à peu près aussi ignoré que l’île de Robinson Crusoë.

Des navigateurs, en allant de Honfleur à Cherbourg, avaient signalé de loin Trouville comme une petite colonie de pêcheurs qui, sans doute, commerçait avec la Délivrande et Pont-l’Évêque, ses voisins les plus proches ; mais on n’en savait pas davantage. Quant à la langue que parlaient ces pêcheurs, on l’ignorait complètement ; toutes les relations qu’on avait eues jusqu’alors avec eux, on les avait eues de loin et par signes.

J’ai toujours eu la rage des découvertes et des explorations ; je résolus, sinon de découvrir, du moins d’explorer Trouville, et de faire, pour la rivière de la Touque, ce que Levaillant, ce voyageur chéri de mon enfance, avait fait pour la rivière des Éléphants.

Cette résolution prise, je sautai dans le bateau qui allait à Honfleur, où de nouveaux renseignements sur la route à suivre devaient m’être donnés.