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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/182

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Trouville se composait, alors, de quelques maisons de pêcheurs groupées sur la rive droite de la Touque, à l’embouchure de cette rivière, entre deux petites chaînes de collines qui enferment cette charmante vallée comme un écrin renferme une parure. Le long de la rive gauche s’étendaient d’immenses pâturages qui me promettaient une magnifique chasse aux bécassines.

La mer était retirée, et la plage, unie et resplendissante comme un miroir, était à sec.

Nos matelots nous firent monter à califourchon sur leurs épaules, et nous descendirent sur le sable.

Il y a pour moi, dans la vue de la mer, dans l’aspiration de ses âcres senteurs, dans son murmure éternel, une fascination immense. Quand il y a longtemps que je n’ai vu la mer, je m’ennuie d’elle comme d’une maîtresse bien-aimée, et, bon gré mal gré, il faut que je revienne, pour la vingtième fois, respirer son haleine et savourer ses baisers. Les trois mois, sinon les plus heureux, du moins les plus sensuels de ma vie, furent ceux que je passai, avec mes matelots siciliens, dans un speronare, pendant mon odyssée sur la mer Tyrrhénienne. Mais, alors, je débutais dans ma carrière maritime, et, pour un début, ce n’était point mal, on en conviendra, de découvrir un port de mer tel que Trouville.

La plage, au reste, était vivante et animée comme dans un jour de foire. À notre gauche, au milieu d’un archipel de roches, tout un monde d’enfants récoltait de pleins paniers de moules ; à notre droite, des femmes, à grands coups de bêche, fouillaient le sable, pour en tirer des espèces de petites anguilles qui ressemblent aux fils de cette salade qu’on appelle de la barbe de capucin ; enfin, tout autour de notre petite barque, encore flottante, mais qui promettait d’être bientôt à sec, une foule de pêcheurs et de pêcheuses de crevettes marchaient au pas gymnastique, ayant de l’eau jusqu’à la ceinture, et poussant devant eux le filet emmanché d’une longue perche où ils font leur grouillante récolte.

Nous nous arrêtions à chaque pas ; tout était nouveau pour nous sur cette plage inconnue. Cook, abordant aux îles des