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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/188

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

des trois peintres que la mère Oseraie venait de nommer.

Au reste, de l’une et de l’autre fenêtre, la vue était magnifique. De la mienne, on voyait la vallée de la Touque, s’enfonçant vers Pont-l’Évêque, au milieu de ses deux collines boisées ; de celle de ma compagne, la mer, toute sillonnée de petits bâtiments pécheurs dont les voiles blanchissaient à l’horizon, et qui attendaient la marée pour revenir avec elle.

Le hasard m’avait bien partagé en me donnant la chambre qui plongeait sur la vallée : si j’avais eu la mer, ses vagues, ses mouettes, ses bâtiments, son horizon confondu avec le ciel éternellement devant les yeux, il m’eût été impossible de travailler.

J’avais complètement oublié le dîner, quand j’entendis la mère Oseraie qui m’appelait.

— Eh ! monsieur le poëte !

— Eh ! la mère ! répondis-je.

— Allons ! le dîner est prêt.

J’offris le bras à ma voisine, et nous descendîmes.

Ô digne mère Oseraie ! comme je me repentis, à la vue de votre potage, de vos côtelettes de Présalé, de vos soles en matelotte, de votre homard en mayonnaise, de vos deux bécassines rôties et de votre salade de crevettes, d’avoir pu un instant douter de vous !

Cinquante sous un dîner qui, à Paris, eût coûté vingt francs ! Il est vrai que le vin se payait à part ; mais on était libre de boire du cidre à discrétion.

Ma compagne de voyage se proposait de faire, avec la mère Oseraie, un bail de trois, six, neuf. Pendant ces neuf ans-là, à son avis, nous pouvions économiser cent cinquante mille francs !

Peut-être avait-elle raison, pauvre Mélanie ! mais comment Paris et ses émeutes se seraient-ils passés de moi ?

Aussitôt le dîner fini, nous reprîmes le chemin de la plage.

La marée était dans son plein, et les barques rentraient au port comme un troupeau de moutons au bercail.