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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/202

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

prendra l’analogie, l’air de famille qui existe entre ces différentes scènes ; elles ne sont point pareilles, mais elles sont sœurs.

Or, je l’ai dit, ces quelques scènes de Gœtz de Berlichingen m’étaient restées comme endormies dans la mémoire ; ni le Cid ni Andromaque ne les eussent réveillées ; la poésie incorrecte, mais chaude, mais vivante d’Alfred de Musset les galvanisa, et, à partir de ce moment, il leur fallut un emploi.

Vers le même temps, j’avais lu Quentin Durward, et la figure du Mograbin m’avait frappé ; j’avais pris en note quelques-unes de ses phrases pleines de poésie orientale. Je résolus de placer mon drame au milieu du moyen âge, et de faire, de mes deux personnages principaux, une belle et sévère châtelaine et quelque esclave arabe regrettant sa terre natale, mais retenu sur la terre d’exil par une chaîne plus forte que celle de son esclavage.

Je me mis alors à feuilleter les chroniques du xve siècle, pour trouver un clou où accrocher mon tableau.

J’ai toujours constaté l’admirable complaisance de l’histoire à cet endroit ; jamais elle ne laisse le poëte dans l’embarras. Ainsi, ma manière de procéder vis-à-vis de l’histoire est étrange. Je commence par combiner une fable ; je tâche de la faire romanesque, tendre, dramatique, et, lorsque la part du cœur et de l’imagination est trouvée, je cherche dans l’histoire un cadre où la mettre, et jamais il ne m’est arrivé que l’histoire ne m’ait fourni ce cadre, si exact et si bien approprié au sujet, qu’il semble que ce soit, non le cadre qui ait été fait pour le tableau, mais le tableau pour le cadre.

Cette fois encore, le hasard me fut plus que fidèle, il me fut complaisant.

Voici ce que je trouvai à la page 5 de la Chronique du roi Charles vii, par maître Alain Chartier, homme très-honorable :

« Et, en ce temps, un chevalier nommé messire Charles de Savoisy, par un de ses pages qui chevauchoit un cheval, en le venant de mener boire à la rivière, le cheval esclabouta un