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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/201

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Pauvre enfant, dupe de ta bonne foi, tu ne vois pas où cela mène ! Il sait qu’ici je suis en sûreté… Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il en veut à mon indépendance… Il me fait aller dans ses domaines parce que, là, il aura le pouvoir de me traiter au gré de son aversion.

— Il ne le fera pas !

— Je vois dans l’avenir toute ma misère ! Je ne resterai pas dans son château : il m’en arrachera pour m’enfermer dans un cloître !

— Ô mort ! ô enfer !

— Me sauveras-tu ?

— Tout ! tout plutôt que cela !

— Frantz ! (En pleurs et l’embrassant.) Oh ! Frantz ! pour nous sauver…

— Ouï, il tombera… il tombera sous mes coups ! je le foulerai aux pieds !

— Point d’emportement ! Tiens, remets-lui plutôt un billet plein de respect, où je l’assure de mon entière soumission à ses ordres… Et cette fiole… cette fiole, vide-la dans son verre.

— Donnez, vous serez libre !

WEISLINGEN, puis FRANTZ.

weislingen. — Je suis si malade, si faible !… mes os sont brisés : une fièvre ardente en a consumé la moelle ! Ni paix ni trêve, le jour comme la nuit… un mauvais sommeil agité de rêves empoisonnés… (Il s’assied.) Je suis faible, faible… Comme mes ongles sont bleus !… Un froid glacial circule dans mes veines, engourdit tous mes membres… Quelle sueur dévorante ! tout tourne autour de moi… Si je pouvais dormir !…

Frantz, entrant dans la plus grande agitation. — Monseigneur !

— Eh bien ?

— Du poison… du poison de votre femme… Moi, c’est moi ! (Il s’enfuit, ne pouvant en dire davantage.)

— Il est dans le délire… Oh ! oui, je le sens… Je martyre ! la mort… (Voulant se lever.) Dieu ! je n’en puis plus ! je meurs !… je meurs !… et, pourtant, je ne puis cesser de vivre… Oh ! dans cet affreux combat de la vie et de la mort, il y a tous les supplices de l’enfer !…

Maintenant que le lecteur a vu passer sous ses yeux tous ces fragments divers : Gœtz de Berlichingen, le Cid, Andromaque, les Marrons du feu, que le génie de quatre poëtes, Gœthe, Corneille, Racine, Alfred de Musset a posé devant lui, il com-