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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/211

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

lui faisait le même reproche : « Je prends mon bien où je le trouve ! »

Et Shakspeare et Molière avaient raison : l’homme de génie, — ai-je besoin de faire observer que je dis cela pour ces grands maîtres et non pour moi ? je sais que je ne serai quelque chose à mon tour que lorsque je serai mort ! — l’homme de génie ne vole pas, il conquiert ; il fait, de la province qu’il prend, une annexe de son empire ; il lui impose ses lois, il la peuple de ses sujets, il étend sur elle son sceptre d’or ; et nul, en voyant son beau royaume, n’ose lui dire, — excepté, bien entendu, les envieux, qui ne sont les sujets de personne, et qui ne reconnaissent pas même le génie pour roi, — et nul n’ose lui dire : « Cette parcelle de terre ne fait point partie de ton patrimoine. »

Il y a dans l’esprit du pouvoir, et dans la protection qu’il accorde aux lettres, une idée absurde : c’est qu’il doit proscrire la littérature étrangère, et décourager la littérature contemporaine. Dans un pays comme la France, qui est le cerveau de l’Europe, et dont la langue se parle dans le monde entier, grâce à cette pondération des consonnes et des voyelles qui ne rebute ni les peuples du Nord ni les peuples du Midi, il devrait y avoir, non pas une littérature nationale, mais une littérature universelle. Tout ce qui a été fait de beau dans le monde entier, depuis Eschyle jusqu’à Alfieri, depuis Sakountala jusqu’à Romeo depuis le romancero du Cid jusqu’aux Brigands de Schiller, tout cela devrait appartenir à la France, sinon par droit d’héritage, du moins par droit de conquête. Rien de ce qu’un peuple entier a admiré ne peut être sans valeur, et tout ce qui a une valeur doit trouver sa place dans cet immense écrin qu’on appelle l’intelligence française.

C’est en raison de ce faux système qu’il y a un Conservatoire et une École de Rome.

À propos de la mise en scène de la Juliette de Soulié, nous avons déjà dit quelques mots de ce Conservatoire où l’on a pour but unique d’apprendre aux jeunes gens à scander Molière, et à chanter Racine et Corneille.

Complétons ici notre pensée.