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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/210

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tard, le Français Racine a emprunté à Euripide et à Sénèque.

Je ferais en même temps sentir ce que le génie de chaque nation et le sentiment de chaque époque ont apporté de changement au caractère primitif du sujet.

Un dernier mot.

Chez tous les peuples, la littérature commence toujours par la poésie ; la prose vient que plus tard. Orphée, Homère, Hésiode ; — Hérodote, Platon, Aristote.

« Au commencement, dit la Genèse, Dieu créa le ciel et la terre.

» La terre était informe et toute nue ; les ténèbres couvraient la face de l’abîme, et l’esprit de Dieu était porté sur les eaux. »

L’esprit de Dieu, c’est la poésie, ou plutôt une première matière poétique, impersonnelle et du domaine commun ; elle flotte dans l’espace comme cette essence cosmique dont parle Humboldt, espèce de vase lumineuse, mère des mondes passés, germe des mondes à venir ; inépuisable parce qu’elle est renouvelée sans cesse, et que chacun lui rend fidèlement ce que chacun lui a emprunté.

Peu à peu, cependant, cette matière s’arrête aux grandes personnalités, comme les nuages s’arrêtent aux grands sommets, et, de même que les nuages se résolvent en sources d’eaux vives qui, en se répandant au milieu des plaines, abreuvent la soif du corps, de même cette matière cosmique se résout en poésie, en hymnes, en chants, en tragédies où s’abreuve la soif de l’esprit.

Il résulte de la comparaison précédente que c’est le génie humain qui crée, et le génie individuel qui applique.

Aussi Shakspeare disait-il, quand un critique l’accusait parfois d’avoir pris une scène, une phrase, une idée à un auteur contemporain : « C’est une fille que j’ai tirée de la mauvaise société pour la faire entrer dans la bonne ! »

Aussi Molière répondait-il plus naïvement encore quand on