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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/24

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Quand Modène étranglé râle sous l’archiduc ;
Quand Dresde lutte et pleure au lit d’un roi caduc ;
Quand Madrid se rendort d’un sommeil léthargique ;
Quand Vienne tient Milan ; quand le lion belgique,
Courbé comme le bœuf qui creuse un vil sillon,
N’a plus même de dents pour mordre son bâillon ;
Quand un Cosaque affreux, que la rage transporte,
Viole Varsovie échevelée et morte,
Et, souillant son linceul, chaste et sacré lambeau
Se vautre sur la vierge étendue au tombeau ;
Alors, oh ! je maudis, dans leur cour, dans leur antre,
Ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu’au ventre.
Je sens que le poëte est leur juge ; je sens
Que la Muse indignée, avec ses poings puissants,
Peut, comme au pilori, les lier sur leur trône,
Et leur faire un carcan de leur lâche couronne,
Et renvoyer ces rois, qu’on aurait pu bénir,
Marqués au front d’un vers que lira l’avenir !
Oh ! la Muse se doit aux peuples sans défense !
J’oublie, alors, l’amour, la famille, l’enfance,
Et les molles chansons, et le loisir serein,
Et j’ajoute à ma lyre une corde d’airain !

LAMENNAIS
Prise de Varsovie.

« Varsovie a capitulé ! L’héroïque nation polonaise, délaissée de la France, repoussée par l’Angleterre, vient de succomber dans la lutte qu’elle a si glorieusement soutenue pendant huit mois contre les hordes tartares alliées avec la Prusse. Le joug moscovite va peser de nouveau sur le peuple des Jagellon et des Sobieski, et, pour aggraver son infortune, les fureurs de quelques monstres affaibliront peut-être l’horreur que doit inspirer le crime de cette nouvelle conquête. Que chacun garde ce qui est à soi : aux égorgeurs, le meurtre et l’infamie ! aux vrais enfants de la Pologne, une gloire pure et immortelle ! au tzar et à ses alliés, la malédiction de quiconque porte en soi un cœur d’homme, de quiconque sait ce que