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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/244

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

richard. — Je ne sais… mais priez Dieu !

jenny. — Richard !…

richard, lui mettant la main sur la bouche. — Silence ! ne les entendez-vous pas ? ne les entendez-vous pas ? Ils montent !… ils montent !… Ils vont trouver une femme ici !

Je m’arrêtai tout court. J’avais été tant que j’avais pu aller. Il s’agissait, maintenant, de tenir ma parole à Goubaux.

Je sautai de mon lit à terre.

— C’est impossible ! m’écriai-je me parlant à moi-même, et Goubaux l’avait bien dit ; Richard va être forcé de prendre sa femme, de la traîner vers la fenêtre ; elle se défendra ; le public ne supportera pas la vue de cette lutte, et il aura parfaitement raison… D’ailleurs, en l’enlevant par-dessus le balcon, Richard montrera aux spectatateurs les jambes de sa femme ; les spectateurs riront, ce qui est bien pis que de siffler… Décidément, je suis une brute !… Il doit, cependant, y avoir un moyen !

Le moyen n’était pas facile à trouver ; aussi je le cherchai quinze jours inutilement.

Goubaux ne comprenait rien au temps que je mettais à exécuter le troisième acte. Il m’écrivait lettres sur lettres. Je ne voulais pas lui avouer la cause réelle de mon retard ; je prenais toute sorte de prétextes : je faisais mes répétitions, j’allais voir ma fille chez sa nourrice, j’avais une partie de chasse, que sais-je, moi ? tous prétextes aussi valables à peu près que ceux que donne Pierre Schlemill pour s’excuser de n’avoir pas d’ombre.

Enfin, une belle nuit, je me réveillai en sursaut en criant comme Archimède : Ευρηκα ! et, dans le même costume que lui, je courus, non pas les rues de Syracuse, mais les coins et les recoins de ma chambre pour trouver un briquet phosphorique.

Les bougies allumées, je me recouchai, je pris mon crayon, mon manuscrit, et, haussant les épaules, en mépris de moi-même :