Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
246
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le tarif devait être discuté contradictoirement entre vingt-deux ouvriers délégués par leurs camarades, et vingt-deux fabricants que la chambre de commerce avait désignés.

Cette mesure, en supposant qu’elle eût besoin d’antécédents pour être légale, avait été autorisée en 1789 par l’Assemblée constituante, en 1793 par la Convention, enfin en 1811 par l’Empire.

Rien ne fut décidé dans cette première réunion.

Le 21 octobre, une nouvelle assemblée fut convoquée au même endroit, et dans le même but.

Les fabricants étaient moins pressés que les ouvriers ; cela se conçoit ils devaient donner, et les ouvriers recevoir ; ils devaient perdre, et les ouvriers gagner.

Les fabricants dirent qu’ayant été nommés d’office, ils ne pouvaient engager leurs confrères.

Une troisième réunion fut indiquée pour que les fabricants eussent le loisir de nommer leurs fondés de pouvoir.

Pendant ce temps, les ouvriers mouraient de faim.

Cette réunion fut fixée au 25 octobre.

La vie ou la mort de quarante mille compagnons, celle de leurs pères, de leurs mères, de leurs femmes et de leurs enfants ; l’existence de plus de cent mille personnes, allait se discuter dans cette séance.

Aussi, spectacle inconnu, lamentable, effrayant, vit-on, à dix heures du matin, descendre ce peuple de malheureux, qui venait attendre son arrêt sur la place de la préfecture.

Au reste, parmi ces milliers de suppliants, pas une arme ! une arme les eût empêchés de joindre les mains, et ils ne voulaient que prier.

Le préfet, effrayé de cette multitude, effrayante même dans son silence, s’avança vers elle.

Au milieu de ces soixante ou quatre-vingt mille personnes de tout âge et de sexes différents, il y avait à peu près trente mille hommes.

— Mes enfants, leur dit le préfet, retirez-vous, je vous en prie, au nom de votre propre intérêt. Si vous restez là, le tarif aura l’air d’être imposé par votre présence. Or, pour être