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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/253

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tait bien battu ; à Lyon, en 1831, on allait se battre pour du pain, et l’on se battrait mieux encore.

Un cri terrible, formidable, immense, retentit dans toute la cité ouvrière.

— Aux armes ! on assassine nos frères !

Alors, la colère fit bourdonnante cette immense ruche que la faim faisait muette. Chaque maison jeta dans la rue tout ce qu’elle avait d’hommes en état de combattre : l’un avec un bâton, l’autre avec une fourche, quelques-uns avec des fusils.

En un clin d’œil, construites par des femmes et par des enfants, les barricades s’élèvent ; un groupe d’insurgés amène, avec de grands cris, deux pièces de canon appartenant à la garde nationale de la Croix-Rousse ; cette garde nationale, non-seulement les a laissé prendre, mais encore elle les a offertes. Si l’on ne poursuit pas les ouvriers dans leurs retranchements, elle restera neutre ; mais, si l’on attaque les barricades, elle a des fusils et des cartouches, elle les défendra.

Le soir, quarante mille hommes étaient armés, debout, se pressant contre des bannières sur lesquelles étaient écrits ces mots, la plus sombre devise peut-être qu’ait jamais tracée la main sanglante de la guerre civile :

VIVRE EN TRAVAILLANT
OU
MOURIR EN COMBATTANT !

Pendant toute la soirée du 21, on se battit ; pendant toute la journée du 22, on s’égorgea.

Oh ! comme on se tue bien entre compatriotes, entre citoyens, entré frères ! — D’ici à cinquante ans, la guerre civile sera la seule guerre possible.

À sept heures du soir, tout était fini, et la troupe battait en retraite devant le peuple, vainqueur sur tous les points.

À minuit, le général Roguet, hissé à force de bras sur un cheval où le secouait la fièvre, sortait de la ville, qu’il lui était impossible de tenir plus longtemps.