Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
249
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

quarante-huit heures. Encore deux ou trois jours de patience de la part de l’autorité militaire, et ceux-là n’étaient plus à craindre : ils seraient morts.

Le 21 novembre, — c’était un lundi, — quatre cents ouvriers en soie se réunirent à la Croix-Rousse. Ils se mirent en marche, leurs syndics en tête, n’ayant d’autres armes que des bâtons. Ils comprenaient qu’il fallait en finir, et ils étaient résolus à aller d’atelier en atelier, et à décider leurs camarades à faire grève avec eux jusqu’à ce que le tarif fût adopté d’une façon sérieuse et définitive.

Tout à coup, au tournant d’une rue, ils se trouvèrent en face d’une soixantaine de gardes nationaux qui faisaient patrouille.

Un officier, emporté par un mouvement belliqueux, s’écria en les apercevant :

— Mes amis, balayons toute cette canaille !

Et, tirant son sabre, il s’élança sur les ouvriers.

Les soixante gardes nationaux le suivirent en chargeant à la baïonnette.

Des soixante gardes nationaux, vingt-cinq furent désarmés en un tour de main ; le reste prit la fuite.

Puis, satisfaits de cette première victoire, sans changer la nature toute pacifique de leur manifestation, les ouvriers se reprirent par le bras, et, marchant quatre par quatre, commencèrent de descendre ce que l’on appelle la Grande-Côte.

Mais les fuyards avaient jeté l’alarme. Une colonne de gardes nationaux de la première légion, composée entièrement de fabricants, prit les armes en toute hâte, et s’avança résolûment à la rencontre des ouvriers.

C’étaient les deux nuages chargés d’électricité, et l’un contre l’autre par des courants contraires. Leur amène la foudre.

La colonne de la garde nationale fit feu. Huit ouvriers tombèrent.

C’était désormais une sorte d’extermination : le sang avait coulé.

À Paris, en 1830, on s’était battu pour une idée, et l’on s’é-