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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/26

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS


CXCI


Suspension de l’Avenir. — Ses trois principaux rédacteurs se rendent à Rome. — L’abbé de Lamennais musicien. — Ce qu’il en coûte pour obtenir une audience du pape. — Le couvent de Santo-Andrea della Valle. — Entrevue de M. de Lamennais avec Grégoire XVI. — La statuette de Moïse. — Les doctrines de l’Avenir sont condamnées par le conseil des cardinaux. — Ruine de M. de Lamennais. — Les Paroles d’un croyant.

Pour les rédacteurs de l’Avenir, la position n’était plus tenable. Si, d’un côté, la démocratie religieuse, abreuvée de tristesse et de fiel, recueillait avec amour les paroles des envoyés, de l’autre, l’opposition des chefs de l’Église catholique devenait formidable, l’accusation d’hérésie courait de bouche en bouche. L’abbé de Lamennais regarda autour de lui, et ne vit, comme le prophète Isaïe, que des champs où la désolation était assise. La Pologne, blessée au flanc, la main hors du suaire, dormait dans l’attente éternellement trompeuse de la main de la France ; et, cependant, elle était tombée pleine de désespoir et de doute, en disant : « Dieu est trop haut, et la France est trop loin ! » L’Irlande, éperdue de misère, mourant de faim, comprimée à la fois par le poing et par le genou de l’Angleterre, se prosternait en vain devant ses croix de bois en implorant le secours du ciel : rien ne venait ! Il semblait que la Liberté eût détourné sa face d’un monde qui n’était point digne d’elle. La Pologne et l’Irlande, ces deux alliées naturelles de toute démocratie religieuse, disparaissaient de la scène politique, et, en disparaissant, entraînaient dans leur chute l’existence de l’Avenir.

Le flot des oppositions, semblable à une marée sans reflux, montait, montait toujours. Les uns en voulaient à l’opinion de M. de Lamennais, les autres à son talent ; ces derniers n’étaient pas les moins animés contre lui. Il fallut céder. Comme tous les journaux qui glissent dans le vide, l’Avenir annonça