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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/285

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ont fait hommage de leur succès à l’artiste auquel ils en étaient particulièrement redevables.
» J’imite ce noble exemple : je vous dédie les Guelfes.
» Mademoiselle Duchesnois, M. Joanny, M. Ligier, ont contribué, sans doute, à la réussite de cet ouvrage par un zèle égal à leur talent ; mais, quoi qu’ils aient fait pour moi, ont-ils fait autant que vous, monsieur ?
» Souffler n’est pas jouer, dira M. Firmin, qui est plus fort encore au jeu de dames qu’au jeu de la scène[1].
» À cela, je réponds comme Sganarelle : « Oui et non ! »
» Quand le souffleur donne seulement le mot à l’acteur, quand il ne fait que soutenir la mémoire du comédien, non, certes, souffler n’est pas jouer ! Mais, quand l’acteur prend tout du souffleur, tout, depuis le premier jusqu’au dernier vers de son rôle ; quand votre voix couvre la sienne ; quand c’est vous seul qu’on entend pendant qu’il gesticule, certes, c’est jouer que de souffler !

    tefois, diffère, non pas en raison de celle de leur office, laquelle est toujours la même, mais de celle du genre auquel s’applique leur talent. Donne-t-on un ouvrage romantique, Louis IX ou Émilia, le souffleur en chef prend le cahier, et pas un trait de cette noble prose n’arrive aux oreilles des acteurs sans avoir passé par sa bouche ; mais, s’il s’agit d’un ouvrage classique, d’un ouvrage en vers, se retranchant alors dans sa dignité, comme ce bourreau qui n’exécutait que des gentilshommes : Expédiez-moi cela, vous autres ! dit le souffleur en chef en passant le cahier roturier à ses substituts. Ses fonctions, pour la haute comédie, sont déléguées au second souffleur, et abandonnées pour la tragédie au troisième, c’est-à-dire à l’homme laborieux et modeste à qui celle-ci est dédiée. »

  1. « Les dames — c’est du jeu qu’il s’agit — les dames sont, en effet, la passion dominante de cet artiste, qui n’y est pourtant pas de première force. Il sait, toutefois, concilier cette passion avec ses devoirs, et n’est guère moins empressé à quitter sa partie pour entrer en scène qu’à quitter la scène pour reprendre sa partie, quand il a affaire au public ; quand il a affaire aux auteurs, il n’y met pas, à la vérité, la même prestesse ; mais, comme il ne s’agit que de répétitions, n’arrive-t-il pas toujours assez tôt… quand il arrive ? »