Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rable qu’animait une vaste intelligence ; c’était une voix puissante dont l’accent pathétique et solennel servait d’organe à son inépuisable sensibilité, à son infatigable énergie. Tout ce que la nature peut donner, Talma le possédait, et Talma possédait aussi tout ce que l’art peut acquérir.
» Si bien partagé qu’il soit, M. Firmin réunit-il en lui toutes ces perfections ? Son physique, un peu grêle, ne messied pas à tous les jeunes rôles ; mais s’accorde-t-il avec la dignité qu’exigent les rôles de premier emploi ? Sa voix n’est pas dénuée de charme dans l’expression des sentiments affectueux ; mais a-t-elle la vigueur qu’exigent les habitudes graves et les sentiments violents ? Son intelligence ne manque pas d’étendue ; mais ces moyens d’exécution y répondent-ils quand il veut sortir des bornes où la nature le circonscrit ?
» La fierté de l’aigle peut se trouver dans le cœur d’un pigeon, et le courage d’un lion dans le cœur d’un caniche. Mais, quelque sentiment qui l’anime, le biset ne peut roucouler ; le roquet ne peut que hogner ! Or, ces accents n’ont pas tout à fait l’autorité d’un cri du roi des airs, d’un rugissement du roi des bois.
» D’après ces judicieuses réflexions, distribuant les rôles de ma tragédie aux acteurs qui ont les aptitudes les plus analogues aux caractères de ces rôles, j’avais donné celui d’Uberti à M. Ligier, acteur doué d’une voix et d’une figure imposantes, et j’avais réservé à M. Firmin le rôle
du tendre et passionné Tebaldo. » De quoi diable m’avisais-je ?
» De même que tout Anglais dit, partout où il rencontre de l’eau salée : Ceci est à nous ! de même, partout où il rencontre un rôle fait à la physionomie de Talma, M. Firmin dit ; Ceci est à moi[1] !

  1. « En conséquence de ce droit, M. Firmin se dispose à jouer Hamlet. Il a même acheté, dit-on, pour cela, le costume que Talma portait dans ce rôle. Qu’il y pense ! cet habit-là n’est point fait à sa taille, et, d’ailleurs, on n’a pas toujours pris pour lion tout ce qui a porté une peau de lion. »