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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/304

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

J’eusse fait Othello, — et je serais bien fier si je l’avais fait ! — Othello, jaloux, violent, emporté, homme d’initiative et de volonté, général des galères de Venise ; Othello, avec son nez aplati, ses grosses lèvres, ses pommettes saillantes, ses cheveux crépus ; Othello, plus Nègre qu’Arabe, je l’eusse donné à Frédérick.

Mais mon Othello, à moi, ou plutôt mon Yaqoub, plus Arabe que Nègre, est un enfant du désert, au teint bistré, et non noirci, au nez droit, aux lèvres minces, aux cheveux lisses et plats ; une espèce de lion pris à la mamelle de sa mère, et transporté, des sables rougis et brûlants du Sahara, sur la dalle froide et humide d’un château d’Occident ; à l’ombre et au froid, il s’est énervé, alangui, poétisé. C’était donc la nature fine, aristocratique et un peu maladive de Lockroy qui convenait au rôle.

Aussi, dans mes idées, Lockroy le joua-t-il admirablement.

Je reçus, le lendemain de la représentation de Charles VII, bon nombre de lettres de félicitations. La pièce avait juste assez de vertus secondaires pour n’effaroucher personne, et m’attirer les compliments de gens qui, ne pouvant plus, ou ne voulant plus en faire à Ancelot, tenaient absolument à en faire à quelqu’un.

Pendant ce temps, le Théâtre-Français préparait une pièce qui devait causer un bien autre émoi que mon pauvre Charles VII.

C’était la Reine d’Espagne, d’Henri de Latouche.

M. de Latouche, — dont nous allons avoir à nous occuper bientôt, à propos de l’apparition de madame Sand sur notre horizon littéraire, — M. de Latouche était une sorte d’ermite qui habitait la Vallée-aux-Loups.

Le nom de l’ermitage peint assez bien l’ermite.

M. de Latouche était un homme d’un talent réel ; il a publié une traduction du Cardillac d’Hoffmann, et un roman napolitain très-remarquable. La traduction, — M. de Latouche avait démarqué le linge volé, — la traduction s’appelait Olivier Brusson ; le roman napolitain s’appelait Fragoletta.

Ce roman est une œuvre obscure, mal liée, mais en cer-