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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/38

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

j’ai gagné quinze cents francs ; ma lettre de change payée, il me restera mille francs !… Laisse-moi t’embrasser, je te dois la vie.

Gannot le repoussa doucement de la main, et l’invita à modérer les transports de sa reconnaissance.

— Ah ! maintenant, dit-il, nous pouvons bien aller prendre un verre de punch, n’est-ce pas ?

— Un verre de punch ?… Un bol, mon ami ! deux bols ! tant que tu en voudras, et des havanes à discrétion ! Je suis riche : ma lettre de change payée et ma montre retirée, il me reste encore…

— Tu me l’as déjà dit.

— Ma foi ! je suis si content, que je ne saurais trop le redire, mon ami !

Et le jeune homme s’abandonna aux éclats d’une joie immodérée, tandis que, beau, calme et fier, Gannot montait royalement l’escalier conduisant à l’estaminet Hollandais, le seul qui fût ouvert à minuit passé.

L’estaminet était plein. Gannot appela les garçons.

Un garçon se présenta.

— J’ai demandé les garçons, dit Gannot.

On en alla chercher trois qui étaient à la glacerie : on en fit lever deux qui étaient déjà couchés. Il en vint quinze en tout.

Gannot les compta.

— Bon ! dit-il. Maintenant, garçons, promenez-vous de table en table, et demandez à ces messieurs et à ces dames ce qu’ils désirent.

— Alors, monsieur…

— C’est moi qui paye ! dit majestueusement Gannot.

La plaisanterie fut acceptée, on la trouva même de bon goût ; seul, l’ami riait du bout des lèvres en voyant l’absorption de liqueurs, de café, de gloria qui se faisait.

Chaque table était un volcan versant, au milieu des flammes, une lave de punch. Les tables se renouvelaient ; les nouveaux venus étaient invités par l’amphitryon à consulter