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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/84

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

naire, pour que Joseph prît vis-à-vis de moi une telle liberté.

On avait tiré des coups de fusil une partie de la nuit, on avait désarmé deux ou trois postes, on mettait à sac l’archevêché.

La proposition de marcher sur le palais de M. de Quélen avait été accueillie avec enthousiasme. M. de Quélen était un de ces prélats mondains qui passent pour être plus bergers que pasteurs. On assurait que, le 28 juillet 1830, un bonnet de femme avait été trouvé chez lui, et l’on voulait voir si, par hasard, il n’aurait pas la paire.

Le diable me tenta : je m’habillai en toute hâte, et je courus du côté de la Cité.

Les ponts étaient chargés à crouler ; les parapets offraient une double muraille de curieux.

Sur le pont Neuf seulement, je parvins à me faire jour entre deux spectateurs. La rivière charriait des meubles, des livres, des chasubles, des soutanes, des robes de prêtre. Ces derniers objets étaient effrayants, en ce qu’ils présentaient le simulacre de gens en train de se noyer.

Tout cela venait de l’archevêché. Lorsque l’émeute était arrivée devant le palais, la porte en avait paru trop étroite relativement à l’empressement et au nombre des visiteurs : la foule, de sa main puissante, avait saisi la grille, l’avait secouée et arrachée. Puis elle s’était répandue dans les appartements, et avait tout jeté par les fenêtres.

Quelques bibliophiles qui avaient voulu sauver des livres rares, des éditions précieuses, avaient failli être jetés à la Seine.

Un seul album échappa à la destruction générale. Celui qui avait mis la main dessus eut l’idée de l’ouvrir : c’était un album chinois peint sur feuilles de riz. Les Chinois sont très-fantastiques dans leurs compositions ; celles-là dépassaient de si loin les limites de la fantaisie française, que la foule n’eut pas le courage d’exiger que le précieux album fût jeté à l’eau.

le n’ai vu quelque chose approchant de cet album que dans le musée secret de Naples ; encore dois-je dire que l’album de