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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/92

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Puis avait eu lieu la représentation de mon Napoléon Bonaparte, ouvrage dont, avec épouvante, j’avais reconnu le peu de valeur, malgré le fanatique enthousiasme qu’il avait excité à la lecture.

Enfin, arrivait Antony, qui n’inspirait aucun fanatisme, aucun enthousiasme, ni à la lecture, ni à la répétition, et que, dans mon for intérieur, je croyais destiné à clore par une chute la courte série de mes succès.

Est-ce que M. Fossier, M. Oudard, M. Picard, M. Deviolaine, auraient eu raison, par hasard ? est-ce que j’eusse mieux fait d’aller à mon bureau, comme me l’avait conseillé l’auteur de la Petite Ville et des Deux Philibert ?

C’était un peu tard pour faire ces réflexions, au moment où je venais de donner ma démission définitive.

Je ne les en faisais pas moins, et elles ne m’égayaient pas davantage.

Ce qui me consolait, c’est que Crosnier ne paraissait pas faire plus grand cas de Marion Delorme que d’Antony, et que, moi, j’admirais fort Marion Delorme.

Je pouvais me tromper sur ma pièce ; mais, à coup sûr, je ne me trompais pas sur celle d’Hugo, tandis que, au contraire, Crosnier, se trompant sur la pièce d’Hugo, pouvait parfaitement se tromper sur la mienne.

En attendant, les répétitions allaient leur train.

Ce que j’avais prévu arrivait : au fur et à mesure qu’avançaient les répétitions, les deux rôles principaux prenaient, représentés par madame Dorval et par Bocage, des proportions qu’ils étaient loin d’avoir, représentés par mademoiselle Mars et par Firmin. L’absence des traditions scolastiques, l’habitude de jouer du drame, une certaine sympathie des acteurs pour leurs rôles, sympathie qui n’existait pas au Théâtre-Français, tout cela réhabilitait peu à peu le pauvre Antony à mes propres yeux. Il est vrai de dire que, en sentant approcher le jour de la représentation, les deux grands artistes sur lesquels reposait le succès de la pièce développaient, comme à l’envi l’un de l’autre, des qualités inconnues à eux-mêmes. Dorval, à côté des choses du cœur, avait des effets