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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/93

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

de dignité dont je l’eusse crue incapable ; et Bocage, à qui je n’avais accordé d’abord qu’une certaine sauvagerie misanthropique, avait des moments de tristesse poétique et de mélancolie rêveuse que je n’ai vus qu’à Talma, dans ses rôles de l’Hamlet anglais et de l’Oreste de Soumet.

La représentation devait avoir lieu dans la première quinzaine d’avril ; mais ; dans la première quinzaine d’avril justement, se jouait, au palais de justice, un drame qui, même à mes yeux, était bien autrement intéressant que le mien.

Mes amis Guinard, Cavaignac et Trélat étaient avec seize autres coaccusés, traduits devant la cour d’assises.

On se rappelle qu’il était question du complot de l’artillerie auquel j’avais pris une part si active ; aussi une seule chose m’étonnait-elle : c’est qu’ils fussent en prison, et que je fusse libre ; qu’ils subissent des interrogatoires au palais de justice pendant que je répétais une pièce à la Porte-Saint-Martin.

Les audiences, depuis le 6 jusqu’au 11 avril, avaient été consacrées à l’interrogatoire des accusés et à l’audition des témoins. Le 12, l’avocat général prit la parole.

Il va sans dire que, du 12 au 15, jour où le jugement fut rendu, je ne quittai pas l’audience.

C’était assez difficile pour un avocat général de charger des hommes comme ceux qui étaient assis sur le banc des accusés : les principaux combattants de juillet, ceux qu’on avait nommés les héros des trois jours, ceux que le lieutenant général avait reçus, caressés, choyés, dix mois auparavant ; ceux que Dupont (de l’Eure) appelait ses amis, ceux que la Fayette appelait ses enfants, et ceux que, depuis qu’il n’était plus au ministère, Laffitte appelait ses complices.

En effet, le ministère Laffitte était tombé le 9 mars. Voici a quelle occasion il était tombé. La cause de cette chute était on ne peut plus honorable pour l’ancien ami du roi Louis Philippe, que cinq mois de frottements politiques avec la nouvelle Majesté suffirent à rendre un de ses plus irréconciliables ennemis.

C’était à l’époque où trois peuples, ressuscitant, récla-