Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

côtes enfoncées à trente, la tête fendue à quarante-cinq ; il n’a pas le corps mis à jour par des querelles politiques ; ses distractions ne sont pas l’escrime, l’équitation, la chasse. Il se repose du travail par le rêve, et non par une fatigue nouvelle ; car son travail, quoique savant, est dur, laborieux, triste. Au lieu de dire à la face du ciel, au grand jour, en montrant ses tableaux aux hommes, et en remerciant Dieu de les lui avoir donnés à faire : « Voyez, je suis artiste ! Vivent Raphaël et Michel-Ange ! » il les voile, il les cache, il les soustrait aux regards en murmurant : « Ah ! je n’étais pas fait pour les pinceaux, la toile et les couleurs : j’étais fait pour la politique et la diplomatie. Vivent M. de Talleyrand et M. de Metternich ! » Oh ! ce sont les esprits malheureux, les damnés de ce monde, ceux qui font une chose, et qui sont tourmentés de cette éternelle préoccupation qu’ils étaient créés pour en faire une autre.

Paul Delaroche, en 1831, avait trente-quatre ans, et venait d’atteindre à l’apogée de sa force et de son talent. Il était le second fils d’un commissionnaire au Mont-de-Piété. Il entra de bonne heure dans l’atelier de Gros, alors au zénith de sa gloire, et qui, après les belles toile de Jaffa, d’Aboukir et d’Eylau, allait entreprendre la gigantesque coupole du Panthéon. Ses progrès furent sérieux, rapides, en harmonie avec le dessin et le goût du maître.

Cependant, Delaroche avait commencé par le paysage. Son frère peignait l’histoire, et le père n’avait pas voulu que ses deux fils s’adonnassent au même genre. Les Claude Lorrain et les Ruysdael étaient donc les études préférées de Paul ; une femme dont il devint amoureux, et dont il s’obstina à faire le portrait, changea ses dispositions.

Ce portrait fait, et bien venu, comme on dit en termes d’atelier, Delaroche était acquis à la grande peinture.

Il débuta au salon de 1822, c’est-à-dire à l’âge de vingt-cinq ans, avec un Joas arraché du milieu des morts par Josabeth et un Christ descendu de la croix.

En 1824, il exposa Jeanne d’Arc interrogée dans son cachot par le cardinal de Winchester, — Saint Vincent de Paul