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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/46

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Delacroix refusa obstinément. Le tableau est encore dans son atelier.

Voilà l’homme, ou plutôt voilà l’artiste !

Au salon de 1826, qui dura six mois, et qui eut trois renouvellements, Delacroix exposa un Justinien et un Christ au jardin des Oliviers, merveille de douleur et de tristesse que vous pouvez voir rue Saint-Antoine, dans l’église Saint-Paul, en entrant à gauche. Je ne manque jamais, pour mon compte, d’entrer dans cette église quand je passe par là, et de faire à la fois, devant ce tableau, ma prière de chrétien et d’artiste.

Tout cela, au reste, était sage ; et, comme ce n’était que beau, et non bizarre, cela ne fit pas grand bruit. On dit bien que le Justinien avait l’air d’un oiseau, et le Christ… je ne sais plus de quoi ; on se battit plutôt sur le dos du passé que sur celui du présent. Mais, tout à coup, au dernier renouvellement, arrive… quoi ? Devinez… Vous ne vous rappelez pas ?

— Non.

— Le Sardanapale.

— Ah ! c’est vrai !

Pour le coup, ce fut un tolle général.

Le roi d’Assyrie, coiffé du bandeau, vêtu de la robe royale, était assis au milieu des vases d’argent, des aiguières d’or, des colliers de perles, des bracelets de diamants, des trépieds de bronze, avec sa favorite la belle Mirrha, sur un bûcher qui semblait près de glisser et de tomber sur le public. Tout autour du bûcher, les femmes du monarque d’Orient se tuaient, tandis que des esclaves amenaient et égorgeaient ses chevaux.

L’attaque fut si violente, la critique avait tant de choses à reprocher à cette toile gigantesque, — une des plus grandes, sinon la plus grande du salon, — que l’attaque étouffa la défense : les fanatiques essayèrent bien de se réunir en bataillon carré autour du chef ; mais l’Académie elle-même, la vieille garde classique, chargea à fond ; les malheureux partisans du Sardanapale furent enfoncés, dispersés, taillés en pièces ! Ils disparurent comme une trombe, s’évanouirent comme une fumée, et, pareil à Auguste, Delacroix redemanda