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Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/59

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« Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir ! » vociférait avec une énergie farouche un grenadier de la garde, plein de force et de vigueur trois jours auparavant, mais qui, blessé à mort et sentant bien que ses moments étaient irrévocablement comptés, regimbait et se débattait contre cette sombre certitude ; je lui parle, il m’écoute, et cet homme, adouci, apaisé, consolé, finit par se résigner à mourir avec la simplicité et la candeur d’un enfant. Voyez là-bas au fond de l’église, dans l’enfoncement d’un autel à gauche, ce chasseur d’Afrique couché sur de la paille, il ne se plaint pas et ne bouge presque plus ; trois balles l’ont frappé, une au flanc droit, une à l’épaule gauche et la troisième est restée dans la jambe droite ; nous sommes au dimanche soir, et il affirme n’avoir rien mangé depuis le vendredi matin ; il est dégoûtant de boue séchée et de grumeaux de sang, ses vêtements sont déchirés, sa chemise est en lambeaux ; après avoir lavé ses plaies, lui avoir fait prendre un peu de bouillon, et après que je l’ai enveloppé dans une couverture, il porte ma main à ses lèvres avec une expression de gratitude indéfinissable. À l’entrée de l’église est un Hongrois qui crie sans trêve ni repos, réclamant en italien et avec un accent déchirant un médecin ; ses reins qui ont été labourés par des éclats de mitraille et qui sont comme sillonnés par des crocs de fer, laissent voir une grande surface de chairs rouges et palpitantes ; le reste de son corps enflé est noir et verdâtre ; il ne sait comment se reposer ni s’asseoir, je trempe des flots de charpie dans de l’eau