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Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/65

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garde, et tend vers lui des mains avides. Les heureux, ceux qui ont une lettre, l’ouvrent précipitamment et la dévorent aussitôt ; les autres, les déshérités, s’éloignent le cœur gros, et se retirent à l’écart pour penser à ceux qui sont restés là-bas. Quelquefois on appelle un nom auquel il n’est pas répondu. On se regarde, on s’interroge, on attend : Mort ! a murmuré une voix ; et le vaguemestre serre cette lettre, qui retournera, sans être décachetée, à ceux qui l’avaient écrite. Ils étaient joyeux alors ceux-là, ils se disaient : Comme il sera content lorsqu’il la recevra ! Et, quand ils la verront revenir, leur pauvre cœur se brisera. »


Les rues de Castiglione sont plus calmes, les morts et les départs ont fait de la place, et malgré l’arrivée de nouvelles charrettes de blessés, l’ordre s’établit peu à peu et les services commencent à se régulariser, l’encombrement n’étant point le fait d’une mauvaise organisation ou de l’imprévoyance de l’Administration, mais résultant de la quantité inouïe et inattendue de soldats atteints, et du nombre relativement très-insignifiant des médecins, des servants et des infirmiers. Les convois de Castiglione à Brescia sont plus réguliers, ils se composent soit des voitures d’ambulance, soit de chars grossiers, traînés par des bœufs qui marchent lentement, bien lentement, sous un soleil brûlant, et dans une poussière telle que le piéton sur la route enfonce jusqu’au-dessus de la cheville du pied dans ces flots mouvants et solides ; et lors même que ces véhicules, si mal commodes, sont garnis de branches