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Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/73

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velle alerte vint nous surprendre : « Qui vive, qui vive, qui vive, ou je fais feu ! » s’écrie sans reprendre haleine, et à bout portant, une sentinelle à cheval. « France ! » répond tout aussitôt le militaire qui ajoute en déclinant en même temps son grade : « Caporal au premier génie, septième compagnie… » — « Passez au large, » nous fut-il répondu. Enfin, à minuit moins un quart, nous atteignons sans autre rencontre les premières maisons de Borghetto[1]. Tout y est silencieux et sombre, cependant dans la rue principale une petite lumière brille à un rez-de-chaussée, et dans une chambre basse sont occupés des officiers comptables qui, quoique troublés dans leur travail, et fort surpris d’une apparition aussi inattendue, à pareille heure, se montrent pleins de courtoisie ; et l’un d’eux, M. A. Outrey, officier-payeur, avant même d’avoir vu que j’étais muni de diverses recommandations d’officiers-généraux, m’offrit une cordiale hospitalité : son ordonnance apporta un matelas sur lequel je me jetai tout habillé pour reposer quelques heures, après avoir pris un excellent bouillon qui me parut d’autant plus restaurant que depuis bien des jours je ne mangeais rien qui vaille, et je dormis tranquillement sans être, comme à Castiglione, suffoqué par des exhalaisons malsaines et harcelé par les mouches qui, rassasiées de cadavres, ve-

  1. Borghetto est un bourg de deux mille habitants environ, sur la rive droite du Mincio, à peu près vis-à-vis de Valeggio. En 1848, les troupes sardes, sous les ordres du roi Charles-Albert, y franchirent le Mincio, malgré la vigoureuse résistance des Autrichiens qui étaient commandés par le feldmaréchal Radetzky.