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Page:Duplessis - Le Batteur d'estrade, 5, 1856.djvu/7

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pour franchir le seuil de la tente où elle repose, soit pour pénétrer dans le chariot où elle voyage, vous tomberiez frappé par une balle conique empoisonnée !… Oh ! ceci n’est pas une menace, c’est simplement un avertissement !… Que vous en fassiez oui ou non votre profit, cela m’est parfaitement égal !… Je ne voulais pas, je vous le répète, rester votre débiteur ! Nous voilà quittes !… Cela me suffit !…

— Mille remercîments à mon tour, cher señor Joaquin Puis, un dernier mot :

— Dites.

— Qui donc m’enverrait cette balle si remarquable par ses propriétés meurtrières ? Vous sans doute ?

— Qu’importe ?

— Oh ! quant à moi, cela m’est on ne peut plus indifférent. Vous comprenez que devant être tué, car j’ai, en effet, l’intention de retourner sous peu présenter mes hommages à Antonia, je n’attache aucune importance à ce que cette balle si mystérieuse, si infaillible et si agréablement confectionnée, sorte de telle ou telle carabine. Je me considère déjà comme supprimé de ce monde. Ma question, señor Joaquin, n’a d’autre but que de vous éviter une désillusion.

— Je ne vous comprends pas.

— Dame ! c’est que si vous comptiez sur votre adresse pour me foudroyer aux genoux d’Antonia, vous auriez tort.

— Vous croyez, marquis ?

— J’en suis sûr !

— Jusqu’à ce jour, ma carabine n’a pas encore fait défaut à ma volonté.

— Soit… je vous accorde sans marchander l’infaillibilité de l’œil et de la main !… Là ne porte pas mon doute ; mais vous me semblez oublier une chose…

— Quoi donc ?

— Que vous n’êtes pas encore sorti du campement…

— Eh bien ?

— Eh bien ! supposez, et cette hypothèse, qui n’a rien de bien hardi, est en outre fort flatteuse pour vous, supposez que j’aie ajouté une foi entière à ce que vous avez bien voulu me déclarer tout à l’heure, c’est-à-dire que vous seul connaissez les trésors que nous cherchons ; ne pensez-vous pas que je serais aussi sot pour mes intérêts propres que coupable auprès de mes gens, si je n’utilisais pas les précieux renseignements que vous m’offrez avec tant de grâce ? Vous laisser partir, señor Joaquin, ce serait de ma part un acte de trahison vis-à-vis des braves gens que vous appelez mes associés ! Voilà pourquoi je vous disais à l’instant que si vous comptiez sur votre adresse pour me foudroyer aux genoux d’Antonia, vous aviez tort. Señor Joaquin, vous êtes mon prisonnier !


XXIV

JOAQUIN ET ANTONIA.


Joaquin Dick s’était levé de dessus sa chaise et allait s’éloigner, lorsque la menaçante et catégorique déclaration de M. de Hallay l’arrêta court. Un sourire, qui exprimait un profond mépris mêlé d’une lueur d’espoir, anima ses lèvres.

— Moi votre prisonnier ! monsieur, s’écria-t-il, êtes-vous fou ? Ah ! oui, je comprends, c’est là un prétexte pour entamer une nouvelle discussion. Vous avez réfléchi, et vous êtes redevenu vous-même. Ambitieux et calculateur, vous ne reniez pas précisément l’amour, mais du moins vous le reléguez au second plan. Soit ! discutons : j’ai du temps.

— Vous vous méprenez du tout au tout sur mes intentions, cher señor ; votre arrestation n’est nullement un prétexte.

— En vérité !… Ma foi, je ne vous aurais jamais jugé capable de commettre une pareille faute !… J’avais, je le vois, une trop bonne opinion de votre bon sens ! Votre aveuglement est d’autant moins pardonnable que je vous avais averti.

— Averti de quoi, estimable caballero ?

— Parbleu ! il faut que vous ayez la mémoire bien courte, ou que vous attachiez une bien minime importance à mes paroles, pour ne plus vous souvenir déjà du conseil que je vous ai donné tout à l’heure, de vous garder, sous peine de perdre la vie, de faire intervenir vos associés dans notre discussion. Ne devinez-vous point ce qui se passerait si vous méprisiez mon conseil ?

— Au contraire, señor.

— Eh bien ! tenez, rien qu’à votre air de fatuité triomphante, je parierais mon cheval Gabilan contre mille piastres, que vous ne vous doutez aucunement des conséquences que mon arrestation aurait pour vous. Remarquez que je dis « aurait » et non pas « aura ; » car avant que cinq minutes se soient écoulées, vous allez me supplier de m’éloigner, et, qui mieux est, veiller vous-même à la sécurité de mon départ.

— Ah ! très-bien !… C’est une menace d’assassinat que vous m’adressez, cher señor ? dit M. de Hallay en fixant un œil fauve sur le Batteur d’Estrade. Vous me permettrez, n’est-ce pas, de ne faire aucun cas d’un tel argument ? Je suis désarmé, c’est vrai ; mais…

Joaquin Dick haussa les épaules d’un air de pitié, et interrompant son interlocuteur :

— Votre supposition est du dernier commun et dénote une bien pauvre judiciaire, marquis, dit-il ; l’assassinat est la ressource des imbéciles… Ah ! pardon… j’oubliais l’épisode d’Evans !… Non, non, mille fois non, monsieur de Hallay, je ne songe pas le moins du monde, à moins que je n’y sois forcé pour ma défense personnelle, à attentera vos jours !… Laissez-moi donc poursuivre !… Vos intentions d’épigrammes et vos railleries d’un goût douteux surchargent et allongent inutilement notre dialogue !… Du moment que vous refusez mes offres, mon temps me redevient précieux, car j’ai à aller vous susciter des ennemis ! J’ai à m’occuper de faire échouer votre expédition ! Ne m’interrompez pas, et nous n’aurons bientôt plus rien à nous dire !…

— Dites, señor.

— J’admets, marquis, que je sois arrêté. Voici à peu près le langage que vous tiendrez à vos associés : « Mes amis, cet homme que je vous livre connaît le secret des immenses richesses que nous recherchons ; s’il le veut, il peut nous conduire par la voie la plus courte et la plus sûre aux mystérieuses cachettes qui renferment ces fabuleux trésors