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Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 3, 1866.djvu/19

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porte-clés, nous assure que nous ne pourrons pas voir les prisonniers avant dix heures, si toutefois cette autorisation nous est accordée, employons les heures qui nous restent à prendre un peu de repos et de nourriture : venez.

Maurice se leva alors de dessus sa chaise. Je vis à ses yeux rouges et abattus que c’était pour cacher ses larmes qu’il avait fait semblant d’être absorbé par ses réflexions.

Une fois que nous fûmes hors de l’espèce de loge où nous avait reçus le geôlier, je regardai autour de moi pour voir si personne ne pouvait nous entendre ; puis, satisfait de mon examen, car la rue était déserte, je me penchai vers l’oreille de mon compagnon, et baissant la voix :

— Maurice, lui dis-je, ne vous désolez pas ainsi : Dieu vient de m’envoyer une idée qui, je l’espère, doit sauver votre oncle.

— Oh ! je sous en conjure, ne me communiquez pas votre projet avant d’avoir mûrement examiné s’il est praticable, me répondit-il en me serrant fortement la main : la désillusion serait pour moi trop cruelle !

— Non, Maurice, je ne me trompe pas… ce projet n’est pas un rêve de mon imagination. Hier déjà il flottait indécis dans mon esprit, mais le désordre de mes idées m’empêchait de le saisir dans son ensemble. Écoutez-moi attentivement, peu de mots me suffiront pour vous mettre au courant de mon espérance, vous verrez que nous avons dix bonnes chances pour nous contre une seule mauvaise… Oui, je vous le répète, votre oncle est sauvé.

À l’air de conviction et de fermeté avec lequel je prononçai ces paroles, Maurice, quoiqu’il ne sût pas le premier mot de mon dessein, éprouva une telle joie qu’il se jeta dans mes bras, et, me serrant tendrement contre son cœur :

— Ah ! mon ami me dit-il, à partir de ce moment, je vois en vous mon frère. Mais parlez vite, je vous en conjure !

— Voici, Maurice, le moyen que j’ai imaginé pour assurer pendant la route l’évasion de votre oncle ?

— Quoi ! s’écria le jeune homme en m’interrompant, votre projet s’applique donc à la possibilité de faire évader mon oncle ?

— Mais certes !… ne s’agit-il donc pas de le sauver, répondis-je, fort étonné de l’exclamation de Maurice.

— De le sauver, oui, reprit-il ; mais vous oubliez qu’en offrant à mon oncle le moyen de s’évader, nous ne le sauverons pas, car il nous refusera.

— Mais c’est impossible, Maurice.

— Impossible, me dit Maurice, dont le visage un moment éclairé par l’espérance avait repris sa première expression d’accablement et de stupeur. Impossible ! Hélas ! n’avez-vous pas été témoin des prières et des supplications que je lui ai adressées hier au soir pour le déterminer à fuir, avant que l’on ne vint l’arrêter, et de l’obstination inébranlable avec laquelle il m’a refusé. Merci, cher et excellent ami, de votre intérêt, mais hélas ! je le vois, vous ne pouvez rien pour mon oncle ! il doit mourir et il mourra.

— Dame ! que voulez-vous, Maurice, que je vous réponde ? Un innocent qui marche volontairement à l’échafaud lorsqu’il pourrait y échapper par la fuite, est un fou sublime que l’on peut admirer et plaindre, mais non sauver ! Je désespère à présent du salut de votre excellent oncle.

Après une course de quelques heures aux environs de la ville, car nous étions, Maurice et moi, tellement agités, que l’immobilité nous eût été impossible, nous revînmes à la maison de détention.

— Vous ne pouvez entrer, citoyens, nous dit le porte-clés, dont j’avais fait la connaissance, à moins d’avoir un permis de l’un des membres du comité de salut public. La consigne est formelle à cet égard.

Le président du comité de salut public, chez qui nous nous rendîmes de suite, se refusa d’abord formellement à délivrer un laisser-passer ; mais ayant appris qu’il s’agissait de M. N***, il changea aussitôt de ton et de langage, et me donna l’autorisation que nous sollicitions.

— Vous voyez, me dit Maurice en sortant, à quel point mon oncle est estimé et apprécié par ses ennemis ! Il y a des caractères et des vertus que l’on ne peut méconnaître, des hommes qui en imposent et que l’on respecte, même lorsqu’ils sont tombés dans le malheur !