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Page:E. Feydeau - Souvenirs d’une cocodette, 1878.djvu/47

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D’UNE COCODETTE


Orgon lui-même n’était rien auprès de mon père. De sa femme, il avalait tout, les yeux fermés. Elle lui aurait mis de l’aloës dans la bouche, qu’il aurait juré que c’était du sucre. Il ne pouvait douter qu’elle eût des amants, c’était par trop visible. Il en prenait stoïquement, presque joyeusement son parti, répétant à satiété, en toute occasion que[1], pour rien au monde, il ne voudrait jamais causer le plus léger chagrin à sa femme. Étrange philosophie ! Il l’appelait parfois, en pleine table, devant ses domestiques et ses enfants, du nom de son amant en exercice.

Mais tout cela, quoique singulier, ne m’aurait rien été, si ma mère qui, naturellement abusait de la passion de mon père, n’avait fait exactement tout ce qu’il fallait pour le ruiner.

Ce n’est pas qu’elle eût mis la maison sur le pied d’un train excessif. Il y avait bien quelques petites choses de plus que le nécessaire, mais cela ne valait pas la peine d’en parler. Ma mère n’avait point à se reprocher les dépenses de table, de beaux ameublements, de voitures et de chevaux qui prenaient les quatre cinquièmes de nos revenus. La dépense folle, permanente, ridicule, le vice — c’en était un ! — de cette femme

  1. Variante, ligne 8, au lieu de qui ; lire : que.