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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/18

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Bist ou place principale du bourg. Klaes, le garçon, était aussi maître-tailleur et les filles Zanne, Katto et Lusse brodaient et épinglaient ces monumentales coiffes de dentelles dont les paysannes de la région d’Anvers encadrent leurs faces potelées.

Les Domus avaient de la terre au soleil et pignon sur rue. Le Bœuf bigarré appartenait depuis cinquante ans à leur famille. Comme ils ne dépensaient pas leurs revenus, le patrimoine s’arrondissait toujours. Chacune des filles aurait parfaitement pu se pourvoir et faire décente figure dans le village sans nuire à l’établissement de leur frère ; mais on les savait d’une avarice sordide et les paysans se racontaient que, pour ne point diviser leur héritage, les quatre grigous ne se marieraient jamais. Le frère, l’aîné, avait cinquante ans sonnés ; Lusse, la cadette, dépassait la trentaine. Les prétendants rebutés plaisantaient les vieilles filles et les héritières se gaussaient de Klaes-le-Puceau. Cependant, on s’habituait à voir, chaque année, les trois sœurs, vêtues de bleu, porter la statue de la Vierge, en leur qualité de doyennes de la congrégation de Molvliet.

À dire vrai, Zanne et Katto ne firent jamais tourner la tête aux épouseurs. Grandes, hommasses, anguleuses et chafouines, celles-là pouvaient rester en friche sans qu’un franc laboureur y trouvât à redire. Leurs écus n’avaient tenté que des fermiers aussi mûrs et aussi cupides que les gens du Bœuf bigarré. Mais les gars délurés réservaient leur compassion pour Lusse, fort avenante encore avec son visage ovale et régulier de madone, son teint rose et satiné, son torse gaillard et sa