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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/19

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charnure plantureuse. La bonne mine et les appas tenaces de leur sœur causaient même de terribles angoisses aux trois autres Domus. Dans chaque consommateur franchissant le seuil de l’herberge, ils flairaient un poursuivant. Le plus souvent, lorsque un client les surprenait au travail, Zanne ou Katto enjoignaient à Lusse de se rasseoir et couraient elles-mêmes servir la pratique. Ils ne prenaient aucune distraction au dehors, ne sortaient que pour les offices, et depuis longtemps ils avaient oublié le chemin des kermesses les plus renommées de la contrée.

Après de longues hésitations, le tailleur rhumatisant et accablé de besogne prit une résolution grave : il fit appel aux services d’un apprenti. Justement, une dame Flips, veuve d’un brigadier de douane, venant de la frontière hollandaise et établie depuis peu à Molvliet dans une masure étroite et proprette aux confins de la paroisse, lui recommandait son fils unique Rombaut ou Baut, un brunet de dix-huit ans, svelte, un peu pâlot, timide et l’air fille. Il fut engagé, grâce à ses allures réservées, quoique Zanne et Katto, défiantes à l’excès, trouvassent les prunelles du petit trop noires, les lèvres trop marquées, les cheveux trop « crollés », le nez trop droit et trop pointu, toutes exagérations capables de détourner des pensées chrétiennes leur éventée de sœur.

Dès le premier jour, Baut se conduisit à la satisfaction de ses patrons. Il parla peu, rougit souvent, releva rarement les yeux, s’initia avec une concentration édifiante à l’assemblage et à la couture des pièces, promit de ménager l’étoffe et le fil au mieux des intérêts de son