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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/209

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Il reconnut alors dans ces pitoyables dépouilles, refroidies, violettes, émaciées, grimaçantes, un de ses chers petits, puis un autre, puis le troisième, puis leur mère.

— Esprit de Noël, râla-t-il, tu veux m’éprouver, mais non point me damner pour l’éternité. Parle ; n’est-ce pas que tout cela ment… et que tu rappelleras les bien-aimés à la vie en dissipant ces créations du cauchemar ?…

— Je ne puis rien pour eux ou pour toi ; n’as-tu pas choisi toi-même ce soir encore entre l’ignominieuse famille de l’ivresse et les bienfaisants génies de ton foyer ?

— Oh ! les revoir encore comme lorsque je les embrassais ce matin !

— Jamais !…

— Jamais ! répéta le pauvre diable.

Cependant, sur un signe du Maître, les trois gnômes et la hideuse goule traînèrent leurs proies vers les cercueils… Stann se précipita pour les arrêter.

En ce moment, là-haut, bien au-dessus de la forêt, passa comme un vent d’orage un vol invisible mais harmonieux d’ailes palpitantes.

— À genoux ! cria l’Esprit de Noël, ce sont les anges qui se rendent à Bethléem. Invoque-les, ils se chargeront peut-être de ta prière pour le Rédempteur…

« Gloria in excelsis Deo ! » chantaient les esprits dans la nuée.

Alors, rassemblant tout ce qui lui restait de souffle après cette nuit d’angoisses et de larmes, Stann jeta vers le ciel, empourpré par l’aube, un formidable cri de douleur.

— Noël, Noël ! Un joyeux Noël ! répondirent les voix enfantines des chérubins.