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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/117

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Raymonne


Est-ce pour les livrer aux sombres aventures
Que notre terre enfante autant de créatures ?
S’il faut tant de trépas, pourquoi ce sein fécond ?
Pourquoi ce chaud soleil, pourquoi tout faire éclore ?
À quoi bon les agneaux, si le loup les dévore ?
Pourquoi la mort, si Dieu les a faits ce qu’ils sont ?

Arrête au moins la vie, arrête la semence :
Ce serait, ô mon Dieu, faire acte de clémence
Que d’oublier la terre et de ne plus créer !
Arrête les transports d’une ardente jeunesse,
Si tu sais que des pleurs naîtront de la caresse ;
Que notre volupté, l’enfant doit la payer !

Et cependant l’amour traversa tous les âges.
Cruel, il présidait aux sombres mariages.
Peuple, c’est le seul Dieu que toujours tu prias,
Et tu reconnaissais sa volonté fatale ;
Paria, tu savais ta couche conjugale
Le berceau d’où sortaient de nouveaux parias.

Et l’amour restera le Dieu de la nature.
Qu’importe le destin qui nous livre en pâture,
Les fauves aux lacets, les vilains au seigneur !