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Raymonne

En voyant cette roche abrupte et formidable,
Dit : « Je mettrai là-haut ma couchette et ma table.
Quand mon nid sera fait, qu’on me jette dehors ! »

Et de l’épais granit il entama la couche,
Il creusa des degrés dans la pierre farouche,
Il gravit le sommet que nul n’avait foulé,
Et, travaillant toujours sans s’arrêter une heure,
Il bâtit en trois ans cette sombre demeure,
Comme un autre rocher sur le premier roulé.

Est-ce le descendant du bâtisseur superbe,
Ce pâle damoiseau, svelte, élégant, imberbe ?
On dirait une femme à voir son teint nacré,
Ses lèvres s’entr’ouvrant pour montrer des dents blanches,
Le ceinturon étroit qui lui serre les hanches
Et ce stylet mignon, jouet d’un désœuvré.

Étrange est le regard de sa verte prunelle,
Éclair livide ; on sent qu’une fierté cruelle
Étouffa la candeur dans cet adolescent.
Sous les yeux alanguis courent des cercles bistres ;
De l’aigle il a le rostre et les instincts sinistres.
Le vice a défloré le moule séduisant.