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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/134

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Raymonne

Alors, n’ayant plus faim, c’est par plaisir qu’il tue.
Ainsi faisait Gisors : sans amour, sans désir,
Dans le rapt d’une vierge il cherchait le plaisir.
Il ne vit même pas cette tête éplorée,
Plus belle que jamais. Dès le matin parée
Pour s’unir à l’époux que choisissait son cœur,
On l’avait à la nuit, à l’heure du voleur,
Lâchement enlevée à sa pauvre chaumière.

Il lui semblait de loin entendre sa prière ;
Puis il voyait aussi le malheureux Huguet
Bâillonné, maintenu, tandis qu’il divaguait,
Fou de douleur, râlant à fendre sa poitrine,
Appelant sur Gisors la vengeance divine,
Criant grâce ou pleurant comme un enfant soumis,
Voulant baiser les pieds de ses vils ennemis !
Gisors court vers le lit. Un soupir de Raymonne
L’appelle. Le soleil dans la chambre rayonne
Et met de chauds reflets aux rideaux de damas.
Gisors tombe à genoux. Il ne regarde pas
Le visage charmant qui vers lui se relève,
L’ineffable sourire éthéré comme un rêve
Flottant sur cette bouche, et ces yeux humectés
Ayant le pur éclat des célestes bontés.