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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/133

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Raymonne

Foulaient les moissons d’or, arrêtait-il les yeux
Sur le serf larmoyant qui l’implorait pour elles ?
Non, les ceps mûrissants, les récoltes nouvelles
Ne le regardaient guère ; il eût voulu se voir
Détourner le galop de son palefroi noir
Pour épargner un champ ! « Allons, cède la place,
Maraud, ou sur ton corps avec mes chiens je passe !

Il songeait, il songeait, le seigneur de Gisors,
Et son front se courbait sous de nouveaux remords.

« Moi seul je te dépare ici, belle nature,
Disait-il, moi, nuisible et lâche créature ! »

Tout à coup il songea qu’une femme dormait
Dans son lit, arrachée à l’homme qu’elle aimait :
Il avait le soir même, ignoble d’atonie,
Abruti par le vin, prolongé l’agonie
De cette pauvre enfant.
De cette pauvre enfant. Dans les jungles parfois,
Lorsqu’il s’est abattu sur sa proie éventrée,
Déjà repu, gorgé du sang de la curée,
En entendant passer la gazelle aux abois,
Le tigre se redresse, il bondit, il se rue :