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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/151

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La Guigne


Les murs sont élevés. La ruelle est étroite.
Les plâtres lézardés, où des châssis boiteux
Enferment des carreaux d’un vert glauque et laiteux,
Ont ces tons effacés que la palette exploite,
Ces bitumes sanglants et ces bistres douteux
Fondus en rechampis dans l’atmosphère moite.

Les bourgeois opulents vivent ailleurs. Ces lieux
Aux petits ouvriers sont échus en partage ;
Et cet essaim de gueux, étouffant à l’étage,
Porte sur le trottoir, modèles précieux,
Des corps dégingandés, des rixes, du tapage,
Des nippes, un parler morne ou facétieux.

Les soirs d’été surtout la scène est pittoresque.
Le linge sèche au vent sur le balcon mauresque.
Les vieilles sur le seuil tricotent en jasant,
Le chef ridé branlant dans le bonnet grotesque,
Le corps pelotonné, ramassé, l’œil luisant ;
Avides au détail d’un récit médisant.

D’autres d’un café noir se versent une tasse,
La prennent à deux mains de peur qu’elle ne casse,
Hument à petits coups le breuvage odorant,