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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/157

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La Guigne

Se rapprochait d’autant de la tombe et de Dieu…
Il arriva qu’un jour, brouette vigilante,
Le voisin n’entendit plus grincer ton, essieu !

La Guigne avait quinze ans. Elle pleura sans doute,
Car ce n’était pas gai d’être seule, surtout
Qu’il lui fallait du pain et gagner ce qu’il coûte
En peinant comme l’autre avait fait jusqu’au bout,
Être, en se couchant tard, avec l’aube debout,
Et suivre chaque jour la même longue route.

La veuve lui laissait, dans le fond d’un tiroir,
Quelques louis bien neufs, sainte et maigre fortune !
Mais, avant le retour de la nouvelle lune,
La Guigne avait mangé, presque sans le savoir,
En rubans, en chiffons, en régals, cet avoir,
Et des cinq pièces d’or il n’en restait plus une.

Comme on était en juin, que les lilas aimés
Balançaient au soleil leurs thyrses parfumés,
Ses mains ayant toujours eu peur de la poussière,
À ses goûts de paresse elle donna carrière,
Accosta les passants, libertins ou gourmés,
Une corbeille au bras, et se fit bouquetière.