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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/160

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La Guigne


Le Veloureux, — ainsi s’appelait mon héro, —
Avait débarrassé la Guigne de ces gouges.
Les spectateurs rentraient maugréant dans leurs bouges.
C’est qu’on le redoutait, cet hercule en sarrau :
Qui s’en prenait à lui restait sur le carreau ;
Il marbrait à plaisir la chair de taches rouges.

Resté seul avec elle, il la prit par le bras.
Elle était frémissante et blême encor de rage
« Si tu veux, nous ferons ensemble quelques pas ;
Je te reconduirai chez toi… Viens, prends courage !
Et si jamais quelqu’un, homme ou femme, t’outrage,
Ta cause m’appartient : tu ne la perdras pas. »

Il disait. Entendant cette voix mâle et rude,
Mais d’un timbre vibrant et pleine de chaleur,
La Guigne, qui n’était ni timide ni prude,
Ayant séché ses yeux, oublié sa douleur,
Pour la première fois regarda son sauveur,
Et mit dans ce regard toute sa gratitude.