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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/185

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La Guigne


Les prés sont endormis. Entre les digues mornes,
Le fleuve se déroule à l’horizon sans bornes.
Surpris dans le repos qui se répand sur nous,
Vers le croissant des cieux, taillé comme leurs cornes,
Les taureaux mugissants lèvent leurs mufles roux,
Comme s’ils devenaient de la lune jaloux.

Dans un vague lointain estompé par la brume,
Sur les quais encombrés de piles de ballots,
Le long de la cité le rivage s’allume,
Et les reflets tremblants de ses rouges falots,
Avec les astres bleus confondus dans les flots,
Semblent comme le jet enflammé de l’enclume.

Par un de ces beaux soirs, sur la berge d’un pont,
Le Veloureux rêvait à jeun, le gousset vide,
Lorsqu’une voix de femme, au doux timbre, limpide,
L’ayant fait tressaillir, il releva le front.
Ce ne fut qu’un éclair. Dans un regard rapide,
Il reconnut la Guigne au bras du monsieur blond.

La Guigne ! Mais superbe, élégante, embellie,
Quoique gardant son air impudent de gamin.
Un costume brun clair, garni de nœuds carmin ;