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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/188

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La Guigne

Le cœur du Veloureux, de patience à bout,
S’emplit, en les voyant, de rage sans pareille.
Pour assouvir sa haine il était prêt à tout.

« Gaston, venez, venez… disait la voix damnée…
Tu me dois un plaisir : je l’ai gagné ce soir
En soupant avec toi dans ce caboulot noir.
Quel cuisinier d’enfer ! je suis empoisonnée !
Si nous faisions un tour ? Près d’ici je crois voir
Une chaloupe… Viens, pour finir la journée ! »

— Comme tu veux. Mais qui ramera ? dit Gaston.
— Que m’importe ? fit-elle ; un batelier se trouve,
Et voici justement quelqu’un qui nous le prouve. »
C’était le Veloureux. « Mon brave homme, peut-on,
Lui dit-elle, montrant ses dents blanches de louve,
Se risquer là-dedans mieux que sur du carton ? »

Il était tant changé que la femme frivole
Ne pouvait le revoir dans cet homme barbu,
Maigre, voûté, défait, en sale camisole,
Et fleurant l’alcool brûlant qu’il avait bu.
Le jockey connaît-il le vieux cheval fourbu,
Son favori, traînant aujourd’hui la carriole ?