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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/189

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La Guigne


« Madame peut entrer, » dit-il, rauque, enroué.
La Guigne tressaillit à cette voix usée,
« C’est un bateau très sûr, je l’ai souvent loué ;
Il a même affronté les flots du Zuyderzée ;
Il court plus vite à l’eau qu’en l’air une fusée ;
Puis sur ces bancs on est à peine secoué… »

Elle le regarda fixement… Ce front blême,
Ces yeux caves, pourtant ne la frappèrent pas.
« À quoi pensais-je donc ? » fit-elle en elle-même…
Puis tout haut : « Cher Gaston, jusque dans le trépas
Vous avez dit me suivre… Offrez-moi donc le bras…
Et sautons dans la barque… Ô Gaston ! je vous aime !

Hé ! l’homme ! Vous ramez, n’est-ce pas ? En avant ! »
Le Veloureux, suivant les ordres de la Guigne,
Détacha le cordeau. Sur le fleuve mouvant
Le bateau s’engagea, gracieux comme un cygne.
La Guigne applaudissait, ses beaux cheveux au vent.
Gaston cachait sa peur sous un mutisme digne.

« Mais j’y songe, il faudrait quelqu’un au gouvernail ! »
Elle y courut, faisant pencher la barque frêle.
« Ne te bouges pas tant ! » criait le blondin grêle.