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Page:Eekhoud - Les Pittoresques, 1879.djvu/76

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La Vengeance de Phanor


L’homme de ce côté se dirige. Une goutte
De liqueur le rendra moins sensible sans doute.
Il frappe ; on ouvre, il entre, et d’un grognon bonsoir
Le tenancier l’accueille. Il s’arrête au comptoir.
Phanor le suit toujours. Quoique aveugle, la bête
D’instinct lève vers lui sa pauvre vieille tête.
Et l’homme, d’un seul trait avalant la liqueur,
A vu ce mouvement et se dit que le cœur
Pour certes trahira sa volonté cruelle
S’il ne prend de genièvre une dose nouvelle.
 
Il fait remplir son verre, et cela quatre fois.
Et si le verre encore vacille entre ses doigts,
Ce n’est plus la pitié qui rend sa main tremblante :
Car, Phanor ayant pris une pose indolente,
C’est d’un ton rauque et dur qu’on l’arrache aux copeaux
Sur lesquels il pensait se livrer au repos.
L’animal obéit.
S’écrie en le voy« Allons, pousse ta quille !
S’écrie en le voyant un mousse joyeux drille.
Hé l’ami ! Ce toutou ne te suivra plus loin !
— Que t’importe, petit ? Ce soir point n’est besoin
Qu’il fasse un long chemin, car le grand port est proche »,
Répond l’homme en tirant la corde de sa poche.