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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/105

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voie qui lui a été tracée, la vocation à laquelle il a été appelé. Mon attente de votre personne a crû comme croissent les fausses espérances ; le doute est dans votre esprit ; eh bien, mon attente aussi était dans le doute, et cependant vous êtes venu. Des hommes sont morts de soif. Moi aussi, j’étais altéré et l’eau est maintenant près de mes lèvres. Que sont les doutes pour moi ? Quand vous viendrez me dire : « Je rejette votre âme, je sais que je ne suis pas juif, notre lot n’est pas commun », alors je ne douterai pas ; je serai certain, certain que j’ai été trompé. Cette heure-là ne viendra jamais !

Deronda sentit résonner en lui une nouvelle corde. Lui dont le regard était calme, dont le visage reluisait de santé ; lui qui avait étudié toutes les questions ; lui, que l’on accusait d’une indépendance d’esprit excessive, sentait peser sur lui une influence qui le subjuguait, et cette influence émanait de la frêle créature tenace qu’il avait devant lui. Il sentit grandir sa sympathie et répondit :

— J’ai le désir de vous satisfaire autant qu’il me sera possible. Il est certain, pour moi au moins, que je ne veux rabaisser ni vos luttes, ni vos souffrances. Vous me ferez connaître toutes vos pensées. Mais où pourrons-nous nous revoir ?

— J’y ai déjà pensé, répliqua Mordecai. Cela ne vous fera-t-il rien de revenir dans ce quartier le soir ? Vous l’avez déjà fait.

— Cela se peut très bien. Vous habitez, je crois, chez les Cohen ?

Mais, avant que Mordecai pût répondre, M. Ram rentra pour reprendre sa place derrière le comptoir. M. Ram, arrivé à la vieillesse, était un des fils d’Abraham dont la jeunesse s’était passée dans les temps troublés du commencement de ce siècle, et qui demeurait au milieu de la génération actuelle, élégante et instruite, comme un