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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/110

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autre forme d’aristocratie. Ce Jeschurum[1] de prêteur sur gage n’était pas un symbole de la grande tragédie juive ; et pourtant, n’y avait-t-il pas quelque chose de typique dans le fait qu’une vie comme celle de Mordecai, — frêle incarnation de la conscience nationale qui n’était plus qu’un souffle, — était abritée sous l’ignorante prospérité des Cohen ?

Le contentement brilla sur leurs visages quand Deronda reparut au milieu d’eux. Cohen lui-même profita de l’occasion pour déclarer que bien que la bague en restant chez lui davantage aurait rapporté plus d’intérêts, il n’oserait pas comparer ce bénéfice au plaisir des femmes et des enfants à voir un jeune gentleman dont la visite leur avait été si agréable qu’elles n’avaient fait qu’en parler depuis. La jeune madame Cohen, qui était très peinée que le bébé fût déjà endormi, puis très heureuse qu’Adélaïde ne fût pas encore couchée, supplia Deronda de ne pas rester dans la boutique, mais d’entrer dans le parloir pour voir « la mère et les enfants ». Il accepta d’autant plus volontiers l’invitation, qu’il s’était muni de cadeaux : des bonshommes coloriés pour Adélaïde et un bilboquet d’ivoire pour Jacob.

En entrant, il remarqua que la porte par où Mordecai était sorti lors de sa première visite était fermée ; mais il voulut d’abord témoigner son intérêt aux Cohen, avant de leur dévoiler celui plus grand qu’il portait à leur hôte singulier. Ce ne fut donc que quand il eut pris sur ses genoux Adélaïde, et qu’il eut fait danser les bonshommes sur la table, pendant que Jacob s’exerçait avec son bilboquet, qu’il dit :

— Mordecai est-il ici ?

— Où est-il, Addy ? demanda Cohen, qui avait profité d’un répit que lui laissaient les affaires pour venir regarder.

  1. Israélite, fils d’Israël.