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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/114

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lenteur à tenir ma promesse, reprit Daniel. Je voulais venir hier, mais cela m’a été impossible.

— Oui, je comptais sur vous. Il est vrai que j’ai été indisposé, car l’esprit de ma jeunesse a remué en moi, et ce corps n’est plus assez fort pour résister aux battements de ses ailes. Je suis comme un homme enchaîné et emprisonné depuis de longues années : il pleure, il chancelle ; la joie menace de briser le tabernacle de chair.

— Ne parlez pas trop à l’air du soir, lui dit Deronda ; couvrez votre bouche de votre écharpe. Nous allons à la Main et la Bannière, je suppose ? Nous y causerons en particulier.

— Non, et c’est ce qui me peine que vous ne soyez pas venu hier. Cette soirée appartient au club dont je vous ai parlé, et nous ne pourrons y être seuls que quelques minutes, tard, après que les autres seront partis. Nous ferions peut-être mieux de chercher un autre endroit ; mais je ne suis habitué qu’à celui-là. Ailleurs, le monde extérieur me pèse et gêne ma vision interne ; et puis, les personnes qui viennent là sont habituées à mon visage.

— Je ne refuse pas d’aller au club, s’il m’est permis d’y entrer, dit Deronda. Il me suffit que vous préfériez cet endroit. Si nous n’avons pas assez de temps à nous, je reviendrai. Quel genre de club est-ce ?

— On l’appelle « le Club des Philosophes ». Ils sont en petit nombre, comme les cèdres du Liban ; ce sont de pauvres artisans qui cultivent leur intelligence. Je suis le plus pauvre de tous. On y amène quelquefois des visiteurs. Nous pouvons y introduire un ami qui s’intéresse aux sujets que nous discutons. Chacun commande de la bière ou tout autre breuvage pour avoir la libre jouissance du salon. La plupart fument. J’y vais quand je peux ; car il vient d’autres hommes de ma race et quelquefois j’y prends la parole. J’aime à trouver une faible ressemblance entre ces