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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/127

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de beaucoup d’habileté quand ils soulèvent des idées libérales, mais comme race, ils n’ont en eux aucun développement.

— C’est faux ! s’écria Mordecai, retrouvant sa première énergie. Que l’on feuillette l’histoire juive, que l’on creuse jusqu’à la semence, que l’on remonte à ses commencements, et plus glorieuse paraîtra l’énergie qui a transformé notre peuple. Où voyez-vous encore une nation dont on puisse dire, avec autant de vérité, que sa religion, sa loi et sa vie morale se sont mêlées comme le sang dans le cœur et l’ont fait grandir ?.. Où y a-t-il encore un peuple qui, comme les juifs, ait conservé et agrandi son bagage spirituel, à l’époque même où on les chassait avec une haine aussi féroce que les incendies des forêts qui chassent les bêtes sauvages de leurs retraites ? On connaît la fable de ce Romain qui, tout en nageant pour sauver sa vie, tint entre ses dents le rouleau de ses écrits pour le préserver du contact de l’eau. Combien cela est-il plus vrai pour notre race ! Nos pères ont lutté en héros pour conserver leur place au milieu des nations !.. Oui ! quand on leur tranchait les mains, ils combattaient avec les dents. Quand on eut fait passer la charrue et la herse sur les derniers vestiges de leur convention nationale, et que la fertilité de leur pays eut été arrêtée et noyée dans le sang des semeurs et des planteurs, ils dirent : « L’esprit est vivant ; faisons-lui une habitation durable, — durable parce qu’elle sera mobile, — de façon à pouvoir être portée de génération en génération, pour que nos fils à naître soient riches en choses qui ont été, et possèdent un espoir bâti sur des fondations inébranlables. » — Ils l’ont dit et ils l’ont fait, quoique souvent ils aient perdu la vie, ou qu’ils soient restés couchés sous des monceaux de cadavres. Hué et honni comme le chien sans maître, l’Hébreu s’est fait envier par sa richesse et par sa sagesse ; on l’a saigné ensuite pour remplir les bains