Aller au contenu

Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une nouvelle phase. Le calme de sa ténacité ordinaire différait autant de son exaltation présente, que la parole d’un homme qui donne des raisons pour une révolution dont aucun signe n’est discernable, diffère de celle de l’homme qui se sent l’agent d’une révolution qui commence. L’aurore de la réalisation qu’apportait à son espoir la présence de Deronda, avait jeté Mordecai dans un état de conviction passionnée, et il avait trouvé dans sa surexcitation la force de développer ses arguments avec une sensation de hâte, comme s’il était arrivé à une crise dont il fallait profiter. Maintenant, quoique épuisé, il éprouvait une sorte d’étonnement reconnaissant d’avoir parlé, et il contemplait sa vie comme un voyage, au terme duquel il était parvenu.

Chacun sentit que le débat était fini et que la discussion ne pouvait reprendre après le solennel discours de Mordecai. On aurait dit qu’ils venaient d’entendre résonner le schophar et qu’ils n’avaient plus autre chose à faire qu’à se disperser. Le mouvement fut général, et en moins de dix minutes, ils eurent quitté la chambre, laissant seuls Mordecai et Deronda. Ils souhaitèrent le « bonsoir » à Mordecai ; mais il était évident qu’il ne les entendit pas, car il demeura muet et immobile. Deronda, ne voulant pas troubler ce repos nécessaire, attendit qu’il reprît spontanément la parole.