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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/140

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reviendront jamais ! » — Ici Mordecai leva tout à coup les yeux, posa sa main sur le bras de Deronda et continua :

— Mon lot fut celui d’Israël. Par le péché du père il faut que mon âme aille en exil. Par le péché du père l’œuvre a été brisée et le jour de l’accomplissement retardé. Celle qui m’avait porté dans ses flancs était désolée, avilie, abandonnée. Je revins. Dès cet instant, son esprit et l’esprit de ses pères, dignes cœurs israélites, s’émut en moi et me dirigea. Dieu, dans lequel réside l’univers, Dieu était en moi et me commandait l’obéissance. Je voyageai avec parcimonie pour épargner le peu d’argent que je possédais et dont elle aurait besoin : je quittai le pays du soleil pour m’en retourner par un froid glacial. À ma dernière étape, je passai la nuit exposé à la bise et à la neige. Ce fut le commencement de ma mort lente.

Mordecai laissa errer ses yeux dans le vide et retira sa main qui serrait le bras de Deronda. Les questions se pressaient sur les lèvres de ce dernier, mais il les refoula et attendit.

— Je travaillai, recommença Mordecai ; nous étions délaissés ; tout avait été saisi et elle était malade. Les serres de l’angoisse la déchiraient cruellement et le mal la mina sourdement. Par instants, elle ne pouvait arrêter les palpitations de son cœur et les images qui se reproduisaient dans son cerveau étaient pleines de terreur, car elle voyait ma sœur élevée dans le mal. Au milieu de la nuit je l’entendais gémir sur son enfant. Je me levais, je la serrais dans mes bras et nous invoquions le ciel. Nous épanchions nos âmes et nous demandions à Dieu que Mirah fût délivrée du mal !

— Mirah ! répéta Deronda qui désirait s’assurer que ses oreilles n’avaient pas été déçues par une attente préconçue. N’avez-vous pas dit Mirah ?

— C’était le nom de ma petite sœur. Quand nous avions