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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/146

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comme si elle nageait dans un océan de satisfaction, et la pauvre madame Davilow s’abusait si bien, qu’elle prenait la distance inattendue à laquelle on la tenait, — en dépit de la générosité de Grandcourt qui la pourvoyait de tout, — comme une indifférence comparative de la part de sa fille, maintenant que le mariage avait créé pour elle de nouveaux intérêts. Ce qui était la vérité, c’est que la seconde fois que Gwendolen proposa d’inviter sa mère, avec M. et madame Gascoigne, Grandcourt, qui avait d’abord gardé le silence, murmura :

— Nous ne pouvons avoir toujours ces gens-là. Gascoigne parle trop. Les curés de village sont toujours ennuyeux, avec l’embarras du diable qu’ils font pour tout !

Ces paroles furent prophétiques pour Gwendolen. Voir sa mère classée parmi « ces gens-là », suffisait pour justifier sa première crainte de l’avoir plus près d’elle. Pourtant, elle ne pouvait pas en dévoiler les motifs : elle ne pouvait pas dire à sa mère :

« M. Grandcourt désire ne vous voir que le moins possible, et, outre cela, il vaut mieux que vous ne sachiez presque rien de ma vie conjugale, car vous pourriez trouver que je suis malheureuse. » Elle éloignait donc, aussi légèrement qu’elle le pouvait, toute allusion à ce sujet : et quand madame Davilow revint sur la possibilité d’avoir une maison près de Ryelands, Gwendolen lui dit :

— Ce serait moins agréable pour vous que d’être ici auprès du presbytère, maman. Peut-être ne serons-nous que fort peu à Reylands, et vous manqueriez à mon oncle et à ma tante.

Ce fut une délicieuse surprise, un jour que M. et madame Gascoigne étaient à Offendene, de voir Gwendolen arriver à cheval, sans son mari, suivie seulement d’un domestique. Tous, y compris les quatre sœurs et miss Merry, assises à goûter dans la salle à manger, purent la